GEORGES APERGHIS
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Les nuages gris au-dessus de notre tête… 
Entretien de Patrick Hahn avec Georges Aperghis


Patrick Hahn : Tu te souviens encore où tu as vu les marionnettes pour la première fois?

Georges Aperghis : La première fois c'était au musée, je ne me souviens plus comment il s'appelle, au musée de Berne.

PH: Kunstmuseum Bern.

GA: C'était une grande vitrine avec douze marionnettes, ou quelque chose comme ça. Voilà, elles étaient toutes ensemble dans la vitrine. Maintenant elles sont séparées, dans le nouveau musée. Et c'est un peu plus triste, parce que ça faisait une troupe, ça faisait une petite troupe de théâtre. Voilà, je les ai vues là.

PH: Quand on les voit, elles sont très fragiles, elles sont faites avec des restes. On a peur qu'elles se cassent si on les prend.

GA: Je n'ai jamais pensé à ça. J'avais acheté les cartes postales montrant les marionnettes, parce que je trouve ça très beau. Et, un jour, Roman Brotbeck m'a proposé de faire un spectacle en utilisant ces marionnettes. C'est une coïncidence en fait.

PH: Il t’avait aussi proposé de faire quelque chose avec Robert Walser.

GA: On en avait discuté. C'était un peu vague dans ma tête. J'avais pensé à un texte qui s'appelle L'étang, qui est un très beau texte.

PH: Quand est-ce que tu as commencé à penser de combiner Walser et Klee ?

GA: C'étaient de petits textes de Walser qui s'appellent Porcelaine : de petits monologues et dialogues qui peuvent être des petits moments de vie. Donc c'est une espèce de résurrection des marionnettes qui se remettent encore à vibrer comme ça, pour redevenir des objets. Et en fait le spectacle, c'est devenu un spectacle sur l'illusion, je pense. C'est beaucoup l'illusion et la mort. En plus, il y a une marionnette qui représente la mort. Elle a une présence très forte, donc c'est un spectacle qui traite beaucoup de la mort.

PH: La mort c'est la marionnette qui fait souvent bouger les autres marionnettes, et c'est aussi la chanteuse qui, comme une enfant, tente de parler à Mme la Mort.

GA: Oui oui, c'est elle qui essaie d’insuffler une respiration aux marionnettes. Mais elle est à moitié marionnette elle-même. Mais l'idée, c'est qu’un chiffon est un chiffon. C’est rien, un bout du papier ou un bout de tissu. Et tout d'un coup ce bout de tissu devient quelque chose. Il a des sentiments, il raconte des histoires. Et puis de nouveau, il redevient un tissu. Ça c'est la mort. Puis il y a l'illusion qu'on peut revenir. Comme les enfants ont toujours l'illusion, quand ils jouent à la guerre, que ceux qui tombent peuvent se relever. Là c'est pareil. Une marionnette est rangée et, tout d'un coup, elle reprend vie. Elle a des choses à dire.

PH: Maurice Blanchot a écrit une fois dans un essai que la mort, c’est l'origine de l'art.

GA: Je pense que c'est l'origine de tout en fait. Il n’y aurait pas de spectacle s’il n'y avait pas ce nuage qui est au-dessus de notre tête à chacun. Et ce terme, cette fin du parcours, c'est le début de tout. La seule chose qui n'est pas tuée par la mort, c'est peut-être l'œuvre d'art. C'est la seule chose qui traverse les siècles, les Babyloniens, les Égyptiens, les Grecs, ça reste. Ca reste un certain temps évidemment, ça ne reste pas toujours. Mais ça fait quand même trois, quatre mille ans. Donc c'est une chose qui a traversé, c'est une sorte de témoignage et c'est pour ça que j'ai appelé le spectacle Témoins. Parce que c'est vraiment comme des gens qui viennent témoigner d'une vie d'avant, que nous on n'a pas connue. Ils viennent et disent : mes cheveux sont comme-ci, je suis éblouissante, je suis comme c’était il y a longtemps.

PH: Mais il y l'autre côté de la vie aussi. C’est le début. La perspective de l'enfant. Qu'on retrouve beaucoup dans la pièce.

GA: C'est à dire que du moment où il y a des marionnettes... Ce qui est magnifique avec ces marionnettes, c'est qu'on ne reconnaît pas les personnages. Si on ne sait pas qui est qui, on ne peut pas le deviner. Quand on les filme de près, ça devient comme des fossiles. Comme des animaux fossilisés. Un côté préhistorique. Donc les marionnettes peuvent recevoir un texte, on peut projeter sur elles différentes choses parce qu'elles-mêmes sont abstraites. Du coup, ça devient un jeu d'enfant. Quand le « Voyageur » dit : « est-ce que je suis sur le bon chemin ? » C’est exactement comme un enfant qui prend un stylo et en fait un avion. Alors il y a les titres que Klee a donnés. Mais si on ne connaît pas les titres, on reconnaît certains personnages et d’autres pas. Et c'est ça qui est intéressant, je crois. C'est comme d'ailleurs dans ses peintures : c’est un mélange de choses abstraites, de choses formelles et géométriques et puis toujours une pointe d'enfance qu’on retrouve souvent dans ses titres aussi.

PH: Et souvent les jeux d'enfants sont beaucoup plus cruels, beaucoup plus…

GA: Quand les marionnettes sont rangées, elles sont muettes. C’est comme des masques. Quand quelqu’un met un masque et joue avec, le masque devient vivant, il fait partie de l'acteur qui l’utilise. Mais une fois qu'on le remet sur l’étagère, le masque ne joue plus.

PH: C'est le moment où ils deviennent des objets d'Art.

GA: Voilà. Et où ils meurent, d'une certaine façon. Je cherche à la fois que la voix soit distincte de la marionnette et en même temps il faut qu'on ait l'impression que c'est son histoire. Pas que la marionnette parle, parce que ça je crois que ce n’est pas très intéressant. Ce n’est pas très intéressant de faire bouger la marionnette, de faire « bonjour, comment ça va », tout ça. Mais prendre ces objets d'art tels qu'ils sont, c’est à dire absolument immobiles et les faire juste traverser la scène très lentement et dire le texte, on devrait avoir à la fois l'objet d'art qui passe et un personnage. Parce que nous, spectateurs, mettons le texte dans sa bouche. Ce n’est pas une histoire du début à la fin. Ce sont les petites histoires de chaque marionnette. Et puis moi je compte que le spectateur voie des histoires, des connexions, je pense qu'il y en a beaucoup. Je pense qu'il y en a même qui m'échappent. Ce qui relie les histoires entre elles, ce sont les deux manipulateurs, en fait : la chanteuse et l'acteur. Parce qu'ils sont ensemble dans le castelet et que ce sont eux qui disent le texte et montrent les marionnettes. L'histoire commune des marionnettes, c'est la troupe. C’est-à-dire qu’elles sont ensemble, elles ont été fabriquées ensemble, elles ont joué ensemble il y a longtemps. Et là elles sont dans le grenier de la grand-mère. Et après on fait semblant de les faire revivre un peu. Et puis elles retournent au grenier. C'est ça, leur histoire.

PH: Est-ce qu’il y a aussi une histoire entre les deux manipulateurs? Une histoire d’amour?

GA: Je ne voudrais pas que ce soit une vraie histoire. Je ne voudrais pas qu'on se dise : elle est amoureuse de lui, ça fait longtemps qu'ils se connaissent, etc. Je voudrais bien que ce soit assez abstrait, assez mystérieux. Qu'on ne sache pas très bien. Et que lui parfois il la manipule, comme il manipule les marionnettes. C’est mieux qu'il reste en arrière plan.

PH: Il y a une certaine lenteur dans tous les mouvements, on pense assister à un rituel.

GA: Les marionnettes doivent bouger très lentement, sinon elles perdent leur identité. Pour qu'on ait le temps de superposer le texte sur les marionnettes. Les marionnettes ne parlent pas comme les hommes. Elles ont leur rythme. Le rythme de la marionnette, c’est le temps dont le spectateur a besoin pour croire que c’est la marionnette qui parle. Si les marionnettes se déplacent trop vite, elles perdent leur âme.

PH: Quel est le rôle des textes phonétiques dans la pièce ?

GA: C’est comme si la chanteuse avait une espèce de vie intérieure, de vie propre. Et ses syllabes sortent d'elle. Mais on ne sait pas du tout ce qu'elle veut dire, si elle est excitée par le jeu, si c’est parce qu’elle fait bouger une marionnette… Et tout d'un coup, elle lui parle d’une certaine façon. C’est un mystère. Et je ne voudrais pas qu'on sache exactement. C’est son énergie intérieure, quand elle est prise par un texte de Walser ou par une marionnette.

PH: Comment est-ce que tu les as inventés ?

GA: Ca fait longtemps que je travaille sur la combinaison de phonèmes. Ce qui est important, c’est l'énergie qu'il y a dans la musique. Comme dans un spectacle de foire, quand on est enfant et que le rideau s'ouvre. Il y a une espèce d'impatience de savoir ce qui va se passer. Une musique de foire, une musique de cirque, l'énergie comme ça, pour exciter l'imagination des gens. Et donc le spectacle est ponctué par ces moments d'énergie pure de la musique. C'est comme si quelqu'un disait : « Vous allez voir! Vous allez voir quelque chose, attendez, réveillez-vous, vous allez voir. » Et puis on voit. Là, ça se calme. On voit les choses. Et puis… « Ouah! Attendez, il y a encore des choses à voir. »

PH: La musique est de temps en temps « fantomatique », il n’y a que des registres aigus.

GA: Oui, il y a très peu de registres graves dans la musique. Elle est comme suspendue. Il y n’a pas de racines. Les graves, pour moi, c'est plutôt la terre, les racines. Et là, c'est une chose comme l'air. Des choses très, très fragiles, d’ailleurs les registres du saxophone et de la clarinette basse sont tellement poussés vers l'aigu que ça devient comme du vent. J'ai plutôt travaillé dans une couleur qui me fait penser à la porcelaine. Je pensais beaucoup à Walser.

PH: Donne-moi, s’il te plaît, une idée de comment tu as inventé la composition avec les phonèmes.

GA: Si tu mets des syllabes à la place des notes de musique, et tu les combines comme si c'étaient des notes de musique, ça commence à faire des choses. À partir de là, il faut travailler. Mais l'idée, c'était ça.

PH: Il n’y avait pas une influence par exemple de Schwitters et Ball, le mouvement Dada.

GA: Ceux qui m’ont influencé, ce sont plutôt les percussionnistes indiens qui commencent par dire en rythme les noms de leurs frappes avant de les jouer sur les tabla.

​Propos recueillis par Patrick Hahn, à Berne, le 17 avril 2007.

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