«Hélas ! tout est abîme... »
sur Machinations de Georges Aperghis
François Regnault
Conférence du 17 février 2008 au Centre Beaubourg,
dans la série "un dimanche, une oeuvre".
Abîmes
« Le mot et l’image sont des corrélats qui se cherchent éternellement ». Je me cite souvent cette phrase de Goethe que j’aime beaucoup. On verra qu’elle est à l’œuvre dans Machinations d’Aperghis, au livret desquelles j’ai contribué, en fournissant quelques textes de la tradition philosophique (et romanesque) sur la machine. « Le mot et l’image sont des corrélats qui se cherchent éternellement, comme nous le montrent suffisamment les tropes et les comparaisons ». Un exemple simple : le trope, la métaphore, des Précieuses ridicules « Vite, venez nous tendre ici dedans le conseiller des grâces », la servante ne comprend pas qu’il s’agit du miroir, parce qu’elle se trouve aux prises avec une incommensurabilité entre l’image d’un miroir et l’expression étrange : « conseiller des grâces ».
Dans le cas d’Aperghis, je ferai état d’incommensurabilités plus radicales encore :
- Entre le signifiant et le signifié. Ou, si vous voulez, entre le son et le sens (pour reprendre un titre de Jakobson). Celle-ci est assez connue, puisque le fondateur de la linguistique comme science, Ferdinand de Saussure, a pu considérer ce lien comme arbitraire. (On sait que Lacan, corrigeant Saussure, préféra le nommer contingent). Quitte à en faire aussitôt un rapport nécessaire à l’intérieur du signe dans toute langue existante.(Exemple : fromage/ Käse). Aperghis est saussurien en ce qu’il franchit l’abîme après Saussure, en inventant de nouvelles formules musicales de l’arbitraire. Lesquelles ? Pour y répondre, il faut passer par le traitement des phonèmes. (Je rappelle que les phonèmes sont l’ensemble des sons en nombre limité qui se distribuent dans une langue donnée, ils ont un aspect acoustique (phonétique), mais aussi ils sont relatifs entre eux (aspect phonologique). Dans le mot « table », il y quatre phonèmes : /T/A/B/L/ (même s’il y a cinq lettres). Le phonème /r/ est différent en français et en anglais ; en français, nous n’avons pas le phonème /th/ anglais, le japonais ne distingua pas notre /l/ de notre /r/, etc.) Les phonèmes d’Aperghis sont, me semble-t-il, relatifs à la langue française.
- Entre la parole et le chant : qu’y a-t-il de commun entre la prononciation (on disait autrefois la prolation) de phonèmes purs et discrets, qui contribue impérativement au langage parlé, et le moindre son chanté, qui suppose le prolongement continu d’un son, et préfère apparemment la voyelle à la consonne ? (Je dis « bonjour », cela a un sens, je le chante, c’est ridicule, cela fait opérette !) Et oui, n’est-ce pas, on parle pour communiquer, croit-on, tandis qu’on chante pour exprimer des sentiments, une passion, qu’on chante dans une cérémonie, etc. Et pourtant, le chant suppose le problème résolu, au point qu’on est allé jusqu’à supposer que « Dire et chanter » était autrefois la même chose » (proposition de Strabon citée par Jean-Jacques Rousseau). Aperghis redescend dans ce Grand Canyon béant entre la voix qui parle et celle qui chante, et revisite les tribus qui l’habitent. Or, Machinations travaille sur ces deux béances, ou deux abîmes, au point que je me suis déjà inspiré du poème de Baudelaire à propos d’Aperghis :
"Pascal avait son gouffre, avec lui se mouvant.
Hélas ! tout est abîme, - action, désir, rêve, Parole !... [1] "
- Entre l’homme et la machine, au point que Descartes exceptait l’homme seul de l’ensemble des animaux qui ne sont que des machines, et que l’hypothèse de l’âme garantissait cette exception, non sans poser le problème redoutable de l’union de l’âme et du corps. Aperghis, presque comme le philosophe du XVIIIe siècle La Mettrie, ré- interroge l’hypothèse de l’Homme-Machine.
Aussi, lorsque Georges Aperghis m’a proposé de faire un livret (le mot est ici burlesque) à propos de cette œuvre, me sont venues immédiatement des références philosophiques et littéraires à la machine (Héron d’Alexandrie, Vaucanson, Alan Turing, et jusqu’à, bien sûr, l’Eve future de Villiers de l’Isle-Adam, dont le héros fabrique une femme aussi belle et aussi désirable que possible, et qui n’est pourtant qu’une machine. A condition de partir de l’hypothèse aventureuse, suggérée par Georges, que la machine était, bien entendu, plus intelligente, plus douée, plus pensante, plus forte, etc. que l’homme. Anti-humanisme primaire, si vous voulez. A cela j’ai ajouté des jeux, dés, échecs, jeu de l’Oye, bridge, et d’autres, tirés de Lewis Carroll (le jeu de croquet).
Passer la barre du signe
D’abord, les phonèmes.
« Ces phonèmes sont construits de manière très systématique : certains sont à dominante vocalique (deux voyelles, une consonne), d’autres à dominante consonantique. Je me représentais ces phonèmes comme des ancêtres engendrant des descendances, des lignées avec des combinaisons de plus en plus complexes. Je songeais aussi à ce que dit Deleuze sur la génération par le milieu, plutôt que par la fin ou le début. Quelque chose comme un volcan qui crache et dont le cratère ou la fente s’étend. Et puis il y a des maladies : il y a des consonnes qui finissent pas manger des consonnes. Ce qui donne parfois, c’est vrai, un certain nombre de consonnes côte à côte. Ça crée aussi des rythmes, des hauteurs de voix (certains consonnes, on les dit plus haut que d’autres). Donc, ça finit par faire des mélodies. Et là, chaque gorge, chaque bouche se débrouille comme elle peut, en générant des mélodie différentes.[...] Je cherche à faire entendre ces phonèmes comme des phrases musicales. » [2]
- Ancêtres unicellulaires, à dominante voyelles – les consonnes comme prolongements ou maladies des voyelles :
aa fé uh of fn hi éü nh ho if
- Ancêtres unicellulaires, voyelles et consonnes à égalité:
vl ïn fa oü av éë hf no lh uï
« Je travaille aussi l’ornementation des phonèmes : c’est comme du lierre qui en arrive parfois à cacher l’arbre. Je cherche à faite proliférer les ornements.»
- Ornementations-percussions :
usoa siéti éstan sédaé tanad tadou isdié odtia duödo adisu
- Consonnes indépendantes qui ornent une voyelle principale :
afk ams lar axd val zat atr pav sab arz
- Voyelles indépendantes qui ornent une consonne principale
uraï rïïr érro réor roïa ïéir ouor urru éïéa arer
- Consonnes indépendantes qui ornent une consonne* principale
Tk Tk Tk Tk etc. Kn Kn Kn Kn etc. [3]
Je pars donc des questions ou propositions, des défis qu’Aperghis s’impose au départ de cette œuvre, et sans doute au départ de toutes son esthétique, et qu’il énonce dans un texte intitulé « Ça va s’appeler » :
« Avec Olivier Pasquet [son assistant musical pour cette œuvre] nous venons de programmer sur l’ordinateur la situation suivante : il y a d’abord une grande foule de phonèmes que l’on ne reconnaît pas, parce qu’ils sont filtrés pour ne laisser sortir que certaines consonnes ; puis, peu à peu, le filtre s’en va et l’on découvre qu’il y a des voyelles à nouveau ; les voix changent, elles deviennent plus naturelles et elles finissent dans la bouche d’une femme dont on s’aperçoit qu’elle était en train de parler depuis le début. C’est ce va-et- vient qui m’intéresse. » [4]
Vous le voyez pris en flagrant délit de passer du phonème dé-phonématisé, dirai-je, réduit au son qu’il comporte, au son, dont, en tant que phonème, il est la négation (comme l’objet est, chez Frege, la mort de la chose) jusqu’à la syllabe, et donc à la signification, voire au sens.
Exemple : feuof füoüf ïaffo aïféf aëffi fouïf éïfaf füéfé féafu...
(Sophie Daull pleurant selon des phonèmes dans le Nicomède de Corneille, mis en scène par Brigitte Jaques-Wajeman : on croyait comprendre, au beau milieu des alexandrins, le sous-texte de borborygmes d’un enfant qui pleurniche).
J’aborde ici une première question qui embrasse sans aucun doute toute l’œuvre d’Aperghis, en tout cas toute l’œuvre où intervient la voix – mais cesous-ensemble de son œuvre me semble bien en être cette sorte de partie qu’on appelle pars totalis – une partie qui est un tout (comme il y a autant de nombre entiers que de nombres pairs ou que de nombres impairs dans l’ensemble infini des nombres) : pourquoi faut-il que l’animal appelé homme, qui profère des sons comme bien des mammifères veuille en outre exprimer des significations qui ne sont pas seulement des signaux ? Et que cela aille jusqu’à l’abstraction métaphysique.
Dans la démarche ainsi entreprise, il se trouve que, si la consonne reste encore du côté de la matière, la voyelle s’en va du côté de la pensée. Nous autres Phéniciens – j’entends : nous qui disposons de leur alphabet, nous ne mesurons pas toujours assez ce que doivent ressentir les locuteurs d’une langue sémitique (l’hébreu, l’égyptien ancien, l’arabe etc.), ce que Louis Massignon considérait comme la racine calcinée du sens : MLK = la royauté, MeLeK, roi, MeLKa, reine etc., et vous savez qu’on n’écrit pas forcément les voyelles. Le Grec Aperghis obéit-il donc à l’injonction citée par Louis Massignon « Soyons des Sémites spirituels » en recourant ainsi, dans son langage musical, au principe des racines trilittères consonantiques des langues sémitiques : en arabe, dit Massignon, l’idée jaillit de la gangue de la phrase comme l’étincelle du silex. « On sait que tout mot arabe estcomposé d’un « corps » de consonnes, seules écrites en noir sur la ligne, et d’une « âme », leur vocalisation. » Il évoque à plusieurs reprises « cette calcination littérale », les consonnes étant le carbone qui reste une fois l’oxygène des voyelles dissipé? Entreprise « sémitique » dans la mesure où les phonèmes consonantiques, ces galets, donnent justement le sens (ainsi TXT fait penser à texte) là où un groupe de voyelles, si « spirituelles soient-elles » n’offre qu’un sens vague (AOE se prête àaffoler, arborer, abhorrer, accoler, etc.)[5]
<présentation d'un exemple sur DVD>
Bien sûr, cela se renverse, puisque chacun admettra aussi l’hypothèse inverse que je suis invité, après avoir vu naître sous mes yeux, plutôt entendu se former dans mes oreilles, des vocables, à les entendre a contrario se déformer, redescendre jusqu’au bruit, au son, jusqu’au galet. Car Aperghis compare le phonème à un galet qu’on roule entre ses doigts. La fin du langage, en somme. Ou plus simplement, n’écouter que le signifiant etnon le signifié, comme nous le faisons lorsque nous écoutons de la poésie, (« Rome a pour ma ruine une hydre trop fertile », 6 r, Corneille. « Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ? », 5 s, Racine), ou lorsque le psychanalyste selon Lacan accorde dans la cure sa suprématie au signifiant :
"Car il reste confondant qu’à la différence de toute la philosophie, Freud se soit constamment intéressé aux lapsus, c’est-à-dire au glissement des phonèmes les uns sur les autres, qui déroute le sens obvie et en fait suggérer un autre, alors qu’on les tenait pour ce qu’on appelait si naïvement : un simple lapsus ! Le va-et-vient est évidemment la guise selon laquelle signifiant et signifié s’accolent l’un à l’autre pour former des significations, les ébaucher, les assurer, les mettre en doute et les défaire, et attester ainsi que le seul traumatisme de l’homme n’est point celui de la naissance, auquel un vain peuple des sciences humaines croit, mais d’être né malentendu, et que le malentendu soit l’essence de la « communication ».
Ce qu’atteste surtout la musique – nous y venons – puisque, contrairement à ce que croit un vain peuple de mélomanes, la musique n’assure pas la moindre communication entre les êtres : la transe, tant que vous voudrez, mais au lieu d’adoucir les mœurs, elle les transgresse ou les abolit.
Sprech- oder Gesang ?
J’aborde une seconde question qui embrasse sans aucun doute, elle aussi, toute l’œuvre d’Aperghis, en tout cas toujours l’œuvre de lui où intervient la voix : pourquoi faut-il que le même animal qui fait des sons comme la nature et qui produit des significations avec des articulations comme la nature n’en fait pas, se mêle aussi de chanter comme les oiseaux ?
Après tout, la parole ne nous suffisait-elle pas ? Pourquoi désirons-nous en outre proférer quelque chose qui soit, si j’ose dire, harmonieux ! Mais vous savez qu’on peut retourner la question, inverser l’ordre, en supposant que chanter est plus proche des sentiments, des passions, que de l’intelligence et du concept, et a dû donc être notre premier langage, ce que ne s’est pas fait faute d’imaginer Jean-Jacques Rousseau dans son Discours sur l’origine de langues :
« Les articulations sont en petit nombre ; les sons sont en nombre infini ; les accents qui les marquent peuvent se multiplier d’eux-mêmes ; toutes les notes de la musique sont autant d’accents ; nous n’en avons, il est vrai, que trois ou quatre pour la parole ; mais les Chinois en ont beaucoup davantage... » [6]
Tout cela est exact. Rousseau dit encore que si nous avions gardé « la première langue » (hypothèses fictive, dans le style du XVIIIe siècle) :
« Non seulement tous les tours de cette langue devraient être en images [géant précéderait homme], en sentiments [« Que les premières inventions de la parole ne vient pas des besoins, mais des passions » ou : « on ne commença pas par raisonner, mais par sentir » ; il va jusqu’à imaginer que la première parole des langues méridionales fut « Aimez-moi », tandis que la premières des langues du nord fut « Aidez-moi » ! [7] Les passions précèdent la raison, en figures [géant, sens figuré précéderait homme, sens propre] ; mais dans sa partie mécanique elle devait répondre à son premier objet, et présenter aux sens ainsi qu’à l’entendement les impressions presque inévitables de la passion qui cherche à se communiquer. »
On ne dira jamais assez à quel point, lecteur de Saussure, de Deleuze et de Lacan, Aperghis est aussi contemporain de ces questions du XVIIIe siècle sur les origines, et notamment de celle du langage, mais aussi de celle de la musique et de la société, n’oublions pas qu’il a fait, sur un livret de Catherine Clément, un opéra à partir de Tristes tropiques, de Lévi-Strauss, ce livre, l’un des plus grands du XXe siècle qui à la fois reprend, transcende et liquide toutes les élucubrations sur l’homme primitif.
« Comme les voix naturelles sont inarticulées, continue Rousseau, les mots auraient peu d’articulations ; quelques consonnes interposées, effaçant l’hiatus des voyelles, suffiraient pour les rendre coulantes et faciles à prononcer. En revanche les sons seraient très variés, et la diversité des accents multiplierait les mêmes voix : la quantité, le rythme seraient de nouvelles sources de combinaisons ; en sorte que les voix, les sons, l’accent, le nombre, qui sont dans la nature, laissent peu de choses à faire aux articulations qui sont de convention, l’on chanterait au lieu de parler ; la plupart des mots radicaux seraient des sons imitatifs, ou de l’accent des passions, ou de l’effet des objets sensibles : l’onomatopée s’y ferait sentir continuellement. » [8]
Je laisse de côté le caractère mythique de cette fiction et la question de savoir dans le langage ce qui est naturel et ce qui est de convention, pour signaler seulement que, dans des recherches phonétiques, langagières, comme sont celles d’Aperghis, on retrouve sous une forme artistique ce que Rousseau imagine d’un point de vue philosophique. La musique chantée, l’opéra même, comme invitation à un voyage dans le temps, comme initiation à la langue primitive, comme revanche de la voix, du son, de l’accent et du nombre contre l’articulation signifiante. Au point qu’on en perde le sens dès qu’on chantera, et que trop bien comprendre les paroles articulées gêne encore beaucoup de mauvais amateurs de Pelléas, qui aimeraient tant la musque de Debussy si elle ne s’accompagnait pas de la poésie de Maeterlinck ! Car il faut tenir que le « ne me touchez pas » de Mélisande au théâtre, et le même à l’opéra ne sont que des homonymes. Eh bien, il semble qu’à travers ces considérations primitives, nous nous mouvons dans l’univers d’Aperghis qui re-parcourt les origines de notre espèce (sans parler de l’oratorio L’origine des espèces, dont j’avais tiré la majeure partie du texte de Darwin), et dans chacune de ses investigations phonétiques et phonologiques, les origines de notre langage. Avec le risque incessamment encouru de retomber (mais du point de vue artistique, c’est plutôt une promotion) dans les cris des animaux, voire les sons des éléments, l’eau (Aperghis a mis en musique des considérations de Léonard de Vinci, De la nature de l’eau, 1974), le feu, l’air (souffles, respirations, étouffements, asphyxies, soupirs, rires, pleurs, asthmes, spasmes, orgasmes), la terre (éboulements, enfouissements, creusements, mais aussi germinations, poussées, floraisons, moissons, géorgiques...).
Concernant d’ailleurs cette question du parlé et du chanté, tout le monde sait qu’elle se pose depuis qu’il y a de la poésie, mais aussi qu’elle estcoextensive à toute l’histoire de l’opéra. Certes, la distinction reste entière, et La Flûte enchantée nous donne l’exemple, bien avant les opérettes à la française, de cette alternance évidente. Chaque auteur de Lied ou d’opéra s’invente évidemment de nouvelles solutions. Le récitatif chanté reste proche de la parole, sans en être, et se distingue de l’aria. La mélodie infinie de Wagner invente un mixte entre le discours et le chant qui en fait toute l’originalité. Le Sprechgesang que Schönberg inaugure avec le Pierrot lunaire instaure une problématique dont les réalisations reconduisent régulièrement les apories. Pierre Boulez a souvent expliqué que cette solution du Pierrot n’était pas satisfaisante, et, par opposition à la première « diseuse » enregistrée du temps de Schönberg, il est allé jusqu’à diriger un Pierrot lunaire exclusivement et intégralement chanté par Yvonne Minton, annulant ainsi le différence d’inscription entre le note chantée, noire ou blanche, mais qu’inscrit un cercle, et les croix qu’institue Schönberg pour les notes « parlées-chantées », en Sprechgesang. La question s’est compliquée depuis lors. Alban Berg, Die Soldaten de Zimmermann, Lachenmannn, Mantovani, etc.
Ainsi dans Lulu, dit Boulez, « l’écriture des voix est très complexe et lesexigences de Berg en rendent l’exécution difficile. Il distingue six modes d’interprétation :
1. dialogue non accompagné
2. prose libre (accompagnée)
3. prose déterminée rythmiquement par les queues de notes et leurs ligatures, sans hauteur précise
4. Sprechstimme déterminée par la hauteur et le rythme (Berg renvoie aux explications de Schönberg dans Pierrot lunaire et la Main heureuse)
5. à demi chanté
6. entièrement chanté [9]
Laissez-moi prendre encore l’exemple du très bel opéra qu’est "La petite marchande d’allumettes", de Helmut Lachenmann.
« L’un des points d’achoppement dans la composition de cet opéra, dit Martin Kaltenecker dans le programme, fut sans aucun doute l’utilisation de la question du chant. Le traitement « beriotique » de la matière vocale dans TemA ne pouvait servir de référence, ni le bel canto, ce son plein et vibré, gorgé de connotations, sorte d’objet compact et préfabriqué, impossible à ouvrir et àréactiver par une déconstruction : le chant est par nature une citation, dit le compositeur ; et c’est ainsi qu’il apparaît par exemple dans Wozzeck, avec la berceuse de Marie. »
« Afin de contourner la facilité du chant vibré, Lachenmann reviendra alors au type de traitement vocal que l’on rencontre dans Salut für Caudwell : le mot décomposé en syllabes, à la fois ralenti et haché, la dernière voyelle ou consonne étant agglutinée à celle du mot suivant en un découpage nouveau, qui suspend brièvement la compréhension. Il y a là certes un péril, qui est d’exiger du spectateur un effort permanent de reconstitution, de rétablir un léger retard du sens sur le son ; mais c’est également une musicalisation de la langue, où le signifiant remonte dans le mot et lui donne une saveur nouvelle. "[10]
Comme on est proche d’Aperghis, et de l’adage de Lacan (aux psychanalystes) : « Ne vous hâtez pas de comprendre » ! (N’en va-t-il pas de même dans les mélismes du plain-chant ? entre le a de Gloria et le i de in excelsis ?)
Toute la recherche autour du chant dans la musique contemporaine démontrerait à l’envi que chaque compositeur doit quasiment inventer un système nouveau en multipliant les instances possibles entre le parler pur, qui est un fantasme, et le pur chanté, qui est un idéal ou un rêve.
J’entendais, j’écoutais, et je regardais aussi, et j’admirais l’autre jour 19 janvier, à la Maison Rouge, l’étonnante Donatienne Michel-Dansac dans Tourbillons, une très récente pièce de Georges Aperghis avec un texte d’Olivier Cadiot, : « Une chanteuse se retrouve seule dans la Suite [celle de la Maison Rouge], face à ses rêves et les difficultés de son art. Ce sont neuf crises avec montée et dépression. » [11]
Et je m’avisais de la différence sans cesse marquée entre parole et chant. Non qu’il faille estomper cette différence, elle était au contraire affirmée à tout moment, puisque la chanteuse (c’est une chanteuse dans la vie et elle en jouait une dans la Suite) oscillait incessamment entre des vocalises très subtiles, apparemment aussi difficiles à effectuer dans l’instant que celles de la Reine de la Nuit dans ses deux Arias, et puis des considérations prosaïques, sur la quotidienneté d’actions insignifiantes, comme de chercher un papier dans un tiroir, et puis une espèce de rêve-cauchemar où il s’agissait de supplier une espèce de défunt de rentrer sous la terre et de lui ficher la paix... Or, bien que des phonèmes virtuoses fussent la matière phonologique des vocalises, et que des paroles plates fussent balbutiées ou expédiées jusqu’à perdre leur signification, eh bien ! s’affirmait une incompatibilité, un abîme, entre l’exigence de comprendre, lorsqu’il s’agit de la parole, et le désir d’harmonie, lorsqu’il s’agit de chant. Et même si les phonèmes chantés allaient jusqu’à presque signifier quelque chose, mais on ne sait quoi – car dans les vocalises casta diva, vous modulez vingt notes sur un même a, ou un o, dont vous ne savez ce qu’il veut dire – , et même si les paroles dites se perdaient dans le non-sens, les chemins qui tendent l’un vers l’autre, comme le mot et l’image selon Goethe, ne se rejoignaient pas.
Comme ces deux creuseurs de tunnel de chaque côté de la mer, et qui arrivent de l’autre côté sans s’être rencontrés.
Dirons-nous pour autant qu’Aperghis est un musicien-poète – comme Albert Schweitzer le disait de Jean-Sébastien Bach ? Bien sûr, dans Machinations, il a aussi inséré des textes en plus de ceux que je lui ai destinés. Et assurément, leurs significations, souvent fantasmatiques (accouchement, gestations, souffrances, douleurs, etc.) lui importent, mais je poserai volontiers qu’en vérité c’est au nom de la musique qu’il effectue ces gestes poétiques.
Dans le livre de Manfred F. Bokofzer intitulé La musique baroque, l’un des livres sérieux sur la question, on apprend que « Dans la musique de la Renaissance, l’harmonie gouverne le mot », alors que dans la musique baroque « le mot gouverne l’harmonie ». Cette simple antithèse (produite par Berardi et Sacchi) qui ne fait que paraphraser la distinction établie par Monteverdi entre la prima et la seconda prattica, touche à l’un des aspects fondamentaux de la musique baroque. » « L’expression expressio verborum, utilisée alors, [...] n’a pas alors la connotation moderne de musique expressive » ; sa traduction la plus adéquate serait « représentation du mot par la musique ».[12] Elle pourrait adéquatement s’appliquer au grand nombre des tentatives d’Aperghis d’exprimer les phonèmes purs, qui sont de la parole (l’articulation selon Rousseau), en essayant d’en faire des sons avec hauteur, accent, quantité et nombre. Mais en même temps, dans l’expérience de Machinations, tout se passe comme si on renonçait à « mettre en musique » ces phonèmes, que chacun d’entre eux décide de sa sonorité, de sa musique, sans que les séquences obéissent à aucun principe musical, sinon de composition.
« Je suis dans un dilemme, dit Georges à propos de Machinations, je ne sais pas encore comment je vais travailler. Il y a deux possibilités. Ou bien j’organise les phonèmes rythmiquement, je leur donne des hauteurs, des articulations vocales, etc., pour écrire avec eux une partition précise et complexe. » En somme, une nouvelle formule de l’art de la Renaissance, musical, soumis au Nombre en un sens si on veut pythagoricien,. «ou bien je donne ces phonèmes, tels quels, aux quatre « diseuses », en leur demandant de créer avec eux des jeux, d’improviser sur place des organisations musicales. » En somme une solution plutôt baroque (rappelons-nous toujours Lully allant entendre la déclamation des acteurs pour mettre des paroles en musique, baroque en cela, et Racine interdisant à ses acteurs de trop « chanter », au risque de se faire arrêter par les représentants de Lully, qui avait acquis alors le monopole absolu de l’opéra.) « Je penche plutôt vers cette seconde solution : à procéder ainsi, j’obtiendrais véritablement un spectacle fait pour les quatre « dames » et non une partition mise en scène. Quitte à noter le tout a posteriori. » [13]
C’est ce qui s’est passé, et qui fait donc de cette œuvre une œuvre « baroque », mais en un sens inouï, Je reprends le texte cité au début, à propos de ces phonèmes : [14]
« Je songeais aussi à ce que dit Deleuze sur la génération par le milieu, plutôt que par la fin ou le début. Quelque chose comme un volcan qui crache et dont le cratère ou la fente s’étend. Et puis il y a des maladies : il y a des consonnes qui finissent pas manger des consonnes. Ce qui donne parfois, c’est vrai, un certain nombre de consonnes côte à côte. Ça crée aussi des rythmes, des hauteurs de voix (certains consonnes, on les dit plus haut que d’autres). Donc, ça finit par faire des mélodies. Et là, chaque gorge, chaque bouche se débrouille comme elle peut, en générant des mélodie différentes.[...] Je cherche à faire entendre ces phonèmes comme des phrases musicales. »
Je dirai qu’on se trouve dans un registre hyper- ou méta-baroque ! D’autant qu’ici, il n’y pas d’instruments, mais seulement des voix et une machine
« Les instruments me sont toujours apparus comme la transposition de ces manières de parler [des gens qu’il écoute]. C’est ce que je trouve merveilleux dans les quatuors de Beethoven. Ce sont des dialogues, des échanges d’affects à quatre. Le piano des concertos de Mozart, aussi, dit des choses très précises, comme un récitatif qui n’en finit pas. » [15]
<présentation d'un exemple sur DVD>
La machine
C’est donc alors qu’intervient la machine qui, comme Lully, va tenter d’opérer des transformations réglées sur les phonèmes.
« Depuis Commentaires (1996), dit Célia Houdart dans le beau livre qui est consacré à Avis de tempête, fait sur un livret de Peter Szendy (2007), Aperghis fait régulièrement appel dans ses mises en scène à l’informatique et aux technologies : sons électroniques, traitements en temps réel, caméras de surveillance, images vidéo-projetées ou rétro-projetées... La technique n’est jamais utilisée pour elle-même, ni exhibée comme un objet fascinant : « Je suis un artisan, dit le compositeur, je n’aime pas les grosses machines sophistiquées... »
Plutôt petites et manipulées à vue, les machines chez Aperghis sont peu performantes, elles cohabitent avec les interprètes comme des animaux familiers ou des parasites. »
Sur les animaux, Aperghis dit d’ailleurs : « Le but étant (...) de faire osciller la « parole » entre des sons animaux, des sons humains et enfin des sons non identifiables, pour tenter de concentrer et de représenter ce qui pourrait ressembler à un combat. » [15]
<présentation d'un exemple sur DVD>
Techniquement, pour Machinations, raconte Olivier Pasquet : « Georges est arrivé avec des phonèmes enregistrés. Il m’a demandé de fabriquer des outils informatiques pour lire ces phonèmes de façon plus ou moins aléatoire, pour créer avec eux des rythmes, des phrasés. Puis j’ai construit des machines (i ; e ; des algorithmes informatiques) qui allaient choisir, dans cette archive de phonèmes, ceux qui étaient dotés de telle et telle caractéristique. « Sans qu’il me l’ait dit expressément, j’ai très vite senti que Georges cherchait, entre les « diseuses » qui énonceraient les phonèmes et la machine, un rapport de type question- réponse plutôt qu’un accompagnement. » [16] Confronté sans doute à une même demande de la part de Georges, je suis parti (bille en tête) sur le rapport de l’homme à la machine, et me souvenant d’un très intéressant petit opuscule intitulé « De l’automate à l’automatisation » [17] , j’en ai tiré : la description par la mécanicien grec Héron d’Alexandrie (Ier ou IIe siècle ap. J.C.) d’un théâtre d’automates, où un système apparemment sophistiqué de contrepoids et de poulies permettait de manœuvrer une représentation entière racontant un combat naval, puis la description par Jacques de Vaucanson, au XVIIIe siècle de son canard automatique à qui on donnait des grains, qui les absorbait, les digérait et les rejetait du son :
Exemple DVD
... puis une analyse logique subtile d’Alan Turing (l’auteur d’une machine à calculer « universelle » qui simule les procédures du traitement de l’information et qui s’est intéressé à l’intelligence artificielle) au sujet de sa machine, autour de la question de savoir si les machines peuvent penser, à laquelle il substitue le syllogisme suivant, rassurant : « Si chaque homme dispose d’un ensemble défini de règles de conduites d’après lesquelles il organise sa vie, alors il est une machine. Or de telles règles n’existent pas. Je fais ce que je veux. Donc, les hommes ne peuvent être des machines. » Enfin l’Eve future de Villiers de l’Isle-Adam, dont le héros fabrique une femme plus femme que femme, capable de toutes les jouissance, y compris féminines.
<présentation d'un exemple sur DVD>
L’Homme-Machine et la femme-machinique
Mais alors tantôt la machine perfectionne les phonèmes proférés par des êtres humains, tantôt elle les réduit (à la cuisson), les dé-vocalise, les dé-phonématise, les déshumanise. Il en résulte, sinon un conflit, du moins une rivalité, voire une émulation, une connivence, un érotisme, entre la machine (mâle ?) et les diseuses. Les grands matérialistes ont des idées bizarres : faire de l’homme, dont tout le monde sait que c’est lui qui a inventé l’outil, l’instrument, la machine, etc. une machine à son tour. C’est Descartes, disais-je, faisant des animaux de pures machines opérant par figures et mouvements, comme le corps humain, qui en est une autre, à la différence près que l’homme pense, qu’il a une âme, et que cela change tout, au point que c’est l’union de l’âme et du corps qui fait problème ; Descartes s’en sort avec le conarium, entre autres. Mais La Mettrie, l’auteur au XVIIIe siècle de l’Homme-Machine, que prétend-il ?
« Car enfin, quand l’homme seul aurait reçu en partage la Loi naturelle, en serait-il moins une machine ? Des roues, quelques ressorts de plus que dans les autres animaux les plus parfaits, le cerveau proportionnellement plus proche du cœur, et recevant aussi plus de sang, la même raison donnée ; que sais-je enfin ? des causes inconnues produiraient toujours cette conscience délicate, si facile à blesser, ces remords qui ne sont pas plus étrangers à la matière que la pensée, et en un mot toute la différence qu’on suppose ici. L’organisation suffirait-elle donc à tout ? oui, encore une fois ; puisque la pensée se développe visiblement avec les organes, pourquoi la matière dont ils sont faits ne serait-elle pas aussi susceptible de remords quand une fois elle a acquis avec le temps la faculté de sentir ? » [18]
Seulement dans Machinations, Aperghis a soigneusement évité l’homme, le mâle, pour offrir ses machinations à quatre femmes, qu’on peut bien appeler quatre machines désirantes au sens de Deleuze. Ou plutôt, il y a un mec, l’homme de la machine, mais il est derrière elle, et même s’il parle aussi de temps en temps pour dire des chiffres et des mots techniques, le seul dialogue est avec la machine, et semble agonistique. Aperghis est de ces musiciens (sans doute en cela est-il plutôt du côté de Mozart, voire de Richard Strauss, que de Moussorgski ou même de Wagner) pour qui c’est d’abord une femme qui chante (comme pour Claudel, le théâtre, c’est une femme qui arrive !). On peut peut-être se passer de basses et de ténors, mais pas d’altos ni de sopranos, et même si, comme dans Machinations, il choisit une chanteuse, une comédienne, une altiste et une flûtiste, dont la chanteuse chantera à peine, la flûtiste donnera à la rigueur des intonations de flûte mais sans flûte et l’altiste aura laissé son alto à la maison. Il en résulte quatre artistes réduites à effectuer cet exercice de diction alternant phonèmes et textes, et jouant un peu comme aucune comédienne ne joue, toutes embringuées dans l’espace sonore inventé pour elles, soumises à ce que Deleuze appelle un usage intensif a-signifiant [19] et confrontées à une machine avec laquelle elles dialoguent, et qui transforme leurs émissions de voix en sons artificiels.
Bien entendu, que veulent ces femmes, assurément satisfaire à la machine, lui obéir, et décrire aussi d’autres machines C’est ici que la machine suscite des images, car les lectures qu’elles font sont accompagnées d’actions très concrètes autour d’objets très simples. Ces actions ont une fonction visible lorsqu’elles sont re-projetées sur les quatre écrans situés au-dessus des diseuses : tenter de re-franchir l’abîme invoqué au milieu entre l’image et la mot, car ces actions sot autant de tropes, de métaphores en somme propres à rendre visible (ersichtliche Thaten der Musik, disait Wagner de l’action scénique) les processus mêmes utilisés dans les phonématisations, mais en faisant « apparaître des objets connus ayant accompagné la vie des hommes depuis toujours (feuilles d’arbres, cailloux, ossements, parties des mains, doigts, écorces d’arbres, cheveux, sable, coquillages, graines, plumes, etc.), sans parler des dessins effectués en direct ou des schémas ou des graphiques projetés de l’ordinateur.
Conclusion métaphysique
Ainsi se boucle le processus, le signifiant a pu devenir signifié, le purement phonologique a pu donner lieu à la mélodie, à l’harmonie, au contrepoint ; la machine et les femmes ont échangé leurs vertus, et les mots les plus purs ont pu susciter des images, et à chaque fois, on peut soutenir les deux propositions incompatibles :« cela n’a rien à voir » et « c’est tout à fait ça » ! Ainsi les trois ou quatre abîmes ont été comblés, ou franchis, ou abolis, et, comme à la fin de Faust, l’irreprésentable est devenu acte. Et en même temps, l’œuvre terminée, nous retombons dans ces abîmes qui sont notre lot quotidien. Je n’ai pas voulu donner l’impression qu’Aperghis était une sorte de poète des phonèmes, ou d’atomiste langagier qui eût renoncé à faire de la musique avec tout cela. Vous savez que mousikè en grec veut dire propre aux Muses et concerne donc tous les arts, la poésie, et plus particulièrement la musique. Aussi bien poserai-je qu’une souveraine raison musicale, au sens grec, commande en dernière analyse la recherche inlassable, digne du Cratyle de Platon, de cet authentique musicien, qui a écrit, écrit et écrira encore bien des œuvres qui questionnent la musique de bien d’autres points de vue. Mais il s’agit toujours pour lui en définitive de franchir dans l’art tous les abîmes que notre espèce si bizarre et si divisée oppose à la Nature. Aussi me redirai- je à son propos avec Héraclite : « C’est le propre du souffle que d’avoir une raison qui s’accroît elle-même. » [20]
François Regnault
________________________
[1] Les Fleurs du mal, poème apporté par l’édition de 1868]
[2] Machinations de Georges Aperghis, textes réunis par Peter Szendy, Ircam, Centre Pompidou, p.59.
[3] Ibid. p.72-75.
[4] Ibid. p.20.
[5] Louis Massignon, « L’arabe, langue liturgique de l’Islam », in Opuscula minora, tome II, p.543 et seq.]
[6] Rousseau, Essai sur l’origine des langues, chapitre IV, édition par Catherine Kintzler, GF- Flammarion.
[7] Ibid. chapitre X.
[8] Ibid. chapitre IV.
[9] Pierre Boulez, « L’écriture affranchie » dans Alban Berg, Lulu, tome II, Théâtre National de l’Opéra de Paris, M & M, Jean-Claude Lattès.
[10] Martin Kaltenecker, « Les mots en marche » dans le Programme de l’Opéra de Paris de La petite fille aux allumettes, (Das Mädchen mit den Schwefelhölzern), de Helmut Lachenmann, Palais Garnier, 2001, p.42.
[11] Tourbillons, pièce vocale de Georges Aperghis, le 19 janvier 2008, La Maison Rouge : La Suite, rendez-vous # 13, tract.
[12] Manfred F. Bukofzer, J.C. Lattès, Presses Pocket, p.13.
[13] Machinations, op. cit. p.20.
[14] Ibid. p.59.
[15] Ibid. p.21.
[16] Ibid. p.109.
[17] De l’automate à l’automatisation, présentés par Jean Sablière, collection « Une invention dans le texte », Grands classiques des sciences et des techniques, Gauthiers-Villars, 1966.
[18] Julien Offroy de La Mettrie, L’Homme-Machine, Collection Folio/Essais, Denoël, p.189.
[19] Machinations, texte cité p.78.
[20] Héraclite ou la séparation, de Jean Bollack et Heinz Wismann, Les éditions de minuit,
sur Machinations de Georges Aperghis
François Regnault
Conférence du 17 février 2008 au Centre Beaubourg,
dans la série "un dimanche, une oeuvre".
Abîmes
« Le mot et l’image sont des corrélats qui se cherchent éternellement ». Je me cite souvent cette phrase de Goethe que j’aime beaucoup. On verra qu’elle est à l’œuvre dans Machinations d’Aperghis, au livret desquelles j’ai contribué, en fournissant quelques textes de la tradition philosophique (et romanesque) sur la machine. « Le mot et l’image sont des corrélats qui se cherchent éternellement, comme nous le montrent suffisamment les tropes et les comparaisons ». Un exemple simple : le trope, la métaphore, des Précieuses ridicules « Vite, venez nous tendre ici dedans le conseiller des grâces », la servante ne comprend pas qu’il s’agit du miroir, parce qu’elle se trouve aux prises avec une incommensurabilité entre l’image d’un miroir et l’expression étrange : « conseiller des grâces ».
Dans le cas d’Aperghis, je ferai état d’incommensurabilités plus radicales encore :
- Entre le signifiant et le signifié. Ou, si vous voulez, entre le son et le sens (pour reprendre un titre de Jakobson). Celle-ci est assez connue, puisque le fondateur de la linguistique comme science, Ferdinand de Saussure, a pu considérer ce lien comme arbitraire. (On sait que Lacan, corrigeant Saussure, préféra le nommer contingent). Quitte à en faire aussitôt un rapport nécessaire à l’intérieur du signe dans toute langue existante.(Exemple : fromage/ Käse). Aperghis est saussurien en ce qu’il franchit l’abîme après Saussure, en inventant de nouvelles formules musicales de l’arbitraire. Lesquelles ? Pour y répondre, il faut passer par le traitement des phonèmes. (Je rappelle que les phonèmes sont l’ensemble des sons en nombre limité qui se distribuent dans une langue donnée, ils ont un aspect acoustique (phonétique), mais aussi ils sont relatifs entre eux (aspect phonologique). Dans le mot « table », il y quatre phonèmes : /T/A/B/L/ (même s’il y a cinq lettres). Le phonème /r/ est différent en français et en anglais ; en français, nous n’avons pas le phonème /th/ anglais, le japonais ne distingua pas notre /l/ de notre /r/, etc.) Les phonèmes d’Aperghis sont, me semble-t-il, relatifs à la langue française.
- Entre la parole et le chant : qu’y a-t-il de commun entre la prononciation (on disait autrefois la prolation) de phonèmes purs et discrets, qui contribue impérativement au langage parlé, et le moindre son chanté, qui suppose le prolongement continu d’un son, et préfère apparemment la voyelle à la consonne ? (Je dis « bonjour », cela a un sens, je le chante, c’est ridicule, cela fait opérette !) Et oui, n’est-ce pas, on parle pour communiquer, croit-on, tandis qu’on chante pour exprimer des sentiments, une passion, qu’on chante dans une cérémonie, etc. Et pourtant, le chant suppose le problème résolu, au point qu’on est allé jusqu’à supposer que « Dire et chanter » était autrefois la même chose » (proposition de Strabon citée par Jean-Jacques Rousseau). Aperghis redescend dans ce Grand Canyon béant entre la voix qui parle et celle qui chante, et revisite les tribus qui l’habitent. Or, Machinations travaille sur ces deux béances, ou deux abîmes, au point que je me suis déjà inspiré du poème de Baudelaire à propos d’Aperghis :
"Pascal avait son gouffre, avec lui se mouvant.
Hélas ! tout est abîme, - action, désir, rêve, Parole !... [1] "
- Entre l’homme et la machine, au point que Descartes exceptait l’homme seul de l’ensemble des animaux qui ne sont que des machines, et que l’hypothèse de l’âme garantissait cette exception, non sans poser le problème redoutable de l’union de l’âme et du corps. Aperghis, presque comme le philosophe du XVIIIe siècle La Mettrie, ré- interroge l’hypothèse de l’Homme-Machine.
Aussi, lorsque Georges Aperghis m’a proposé de faire un livret (le mot est ici burlesque) à propos de cette œuvre, me sont venues immédiatement des références philosophiques et littéraires à la machine (Héron d’Alexandrie, Vaucanson, Alan Turing, et jusqu’à, bien sûr, l’Eve future de Villiers de l’Isle-Adam, dont le héros fabrique une femme aussi belle et aussi désirable que possible, et qui n’est pourtant qu’une machine. A condition de partir de l’hypothèse aventureuse, suggérée par Georges, que la machine était, bien entendu, plus intelligente, plus douée, plus pensante, plus forte, etc. que l’homme. Anti-humanisme primaire, si vous voulez. A cela j’ai ajouté des jeux, dés, échecs, jeu de l’Oye, bridge, et d’autres, tirés de Lewis Carroll (le jeu de croquet).
Passer la barre du signe
D’abord, les phonèmes.
« Ces phonèmes sont construits de manière très systématique : certains sont à dominante vocalique (deux voyelles, une consonne), d’autres à dominante consonantique. Je me représentais ces phonèmes comme des ancêtres engendrant des descendances, des lignées avec des combinaisons de plus en plus complexes. Je songeais aussi à ce que dit Deleuze sur la génération par le milieu, plutôt que par la fin ou le début. Quelque chose comme un volcan qui crache et dont le cratère ou la fente s’étend. Et puis il y a des maladies : il y a des consonnes qui finissent pas manger des consonnes. Ce qui donne parfois, c’est vrai, un certain nombre de consonnes côte à côte. Ça crée aussi des rythmes, des hauteurs de voix (certains consonnes, on les dit plus haut que d’autres). Donc, ça finit par faire des mélodies. Et là, chaque gorge, chaque bouche se débrouille comme elle peut, en générant des mélodie différentes.[...] Je cherche à faire entendre ces phonèmes comme des phrases musicales. » [2]
- Ancêtres unicellulaires, à dominante voyelles – les consonnes comme prolongements ou maladies des voyelles :
aa fé uh of fn hi éü nh ho if
- Ancêtres unicellulaires, voyelles et consonnes à égalité:
vl ïn fa oü av éë hf no lh uï
« Je travaille aussi l’ornementation des phonèmes : c’est comme du lierre qui en arrive parfois à cacher l’arbre. Je cherche à faite proliférer les ornements.»
- Ornementations-percussions :
usoa siéti éstan sédaé tanad tadou isdié odtia duödo adisu
- Consonnes indépendantes qui ornent une voyelle principale :
afk ams lar axd val zat atr pav sab arz
- Voyelles indépendantes qui ornent une consonne principale
uraï rïïr érro réor roïa ïéir ouor urru éïéa arer
- Consonnes indépendantes qui ornent une consonne* principale
Tk Tk Tk Tk etc. Kn Kn Kn Kn etc. [3]
Je pars donc des questions ou propositions, des défis qu’Aperghis s’impose au départ de cette œuvre, et sans doute au départ de toutes son esthétique, et qu’il énonce dans un texte intitulé « Ça va s’appeler » :
« Avec Olivier Pasquet [son assistant musical pour cette œuvre] nous venons de programmer sur l’ordinateur la situation suivante : il y a d’abord une grande foule de phonèmes que l’on ne reconnaît pas, parce qu’ils sont filtrés pour ne laisser sortir que certaines consonnes ; puis, peu à peu, le filtre s’en va et l’on découvre qu’il y a des voyelles à nouveau ; les voix changent, elles deviennent plus naturelles et elles finissent dans la bouche d’une femme dont on s’aperçoit qu’elle était en train de parler depuis le début. C’est ce va-et- vient qui m’intéresse. » [4]
Vous le voyez pris en flagrant délit de passer du phonème dé-phonématisé, dirai-je, réduit au son qu’il comporte, au son, dont, en tant que phonème, il est la négation (comme l’objet est, chez Frege, la mort de la chose) jusqu’à la syllabe, et donc à la signification, voire au sens.
Exemple : feuof füoüf ïaffo aïféf aëffi fouïf éïfaf füéfé féafu...
(Sophie Daull pleurant selon des phonèmes dans le Nicomède de Corneille, mis en scène par Brigitte Jaques-Wajeman : on croyait comprendre, au beau milieu des alexandrins, le sous-texte de borborygmes d’un enfant qui pleurniche).
J’aborde ici une première question qui embrasse sans aucun doute toute l’œuvre d’Aperghis, en tout cas toute l’œuvre où intervient la voix – mais cesous-ensemble de son œuvre me semble bien en être cette sorte de partie qu’on appelle pars totalis – une partie qui est un tout (comme il y a autant de nombre entiers que de nombres pairs ou que de nombres impairs dans l’ensemble infini des nombres) : pourquoi faut-il que l’animal appelé homme, qui profère des sons comme bien des mammifères veuille en outre exprimer des significations qui ne sont pas seulement des signaux ? Et que cela aille jusqu’à l’abstraction métaphysique.
Dans la démarche ainsi entreprise, il se trouve que, si la consonne reste encore du côté de la matière, la voyelle s’en va du côté de la pensée. Nous autres Phéniciens – j’entends : nous qui disposons de leur alphabet, nous ne mesurons pas toujours assez ce que doivent ressentir les locuteurs d’une langue sémitique (l’hébreu, l’égyptien ancien, l’arabe etc.), ce que Louis Massignon considérait comme la racine calcinée du sens : MLK = la royauté, MeLeK, roi, MeLKa, reine etc., et vous savez qu’on n’écrit pas forcément les voyelles. Le Grec Aperghis obéit-il donc à l’injonction citée par Louis Massignon « Soyons des Sémites spirituels » en recourant ainsi, dans son langage musical, au principe des racines trilittères consonantiques des langues sémitiques : en arabe, dit Massignon, l’idée jaillit de la gangue de la phrase comme l’étincelle du silex. « On sait que tout mot arabe estcomposé d’un « corps » de consonnes, seules écrites en noir sur la ligne, et d’une « âme », leur vocalisation. » Il évoque à plusieurs reprises « cette calcination littérale », les consonnes étant le carbone qui reste une fois l’oxygène des voyelles dissipé? Entreprise « sémitique » dans la mesure où les phonèmes consonantiques, ces galets, donnent justement le sens (ainsi TXT fait penser à texte) là où un groupe de voyelles, si « spirituelles soient-elles » n’offre qu’un sens vague (AOE se prête àaffoler, arborer, abhorrer, accoler, etc.)[5]
<présentation d'un exemple sur DVD>
Bien sûr, cela se renverse, puisque chacun admettra aussi l’hypothèse inverse que je suis invité, après avoir vu naître sous mes yeux, plutôt entendu se former dans mes oreilles, des vocables, à les entendre a contrario se déformer, redescendre jusqu’au bruit, au son, jusqu’au galet. Car Aperghis compare le phonème à un galet qu’on roule entre ses doigts. La fin du langage, en somme. Ou plus simplement, n’écouter que le signifiant etnon le signifié, comme nous le faisons lorsque nous écoutons de la poésie, (« Rome a pour ma ruine une hydre trop fertile », 6 r, Corneille. « Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ? », 5 s, Racine), ou lorsque le psychanalyste selon Lacan accorde dans la cure sa suprématie au signifiant :
"Car il reste confondant qu’à la différence de toute la philosophie, Freud se soit constamment intéressé aux lapsus, c’est-à-dire au glissement des phonèmes les uns sur les autres, qui déroute le sens obvie et en fait suggérer un autre, alors qu’on les tenait pour ce qu’on appelait si naïvement : un simple lapsus ! Le va-et-vient est évidemment la guise selon laquelle signifiant et signifié s’accolent l’un à l’autre pour former des significations, les ébaucher, les assurer, les mettre en doute et les défaire, et attester ainsi que le seul traumatisme de l’homme n’est point celui de la naissance, auquel un vain peuple des sciences humaines croit, mais d’être né malentendu, et que le malentendu soit l’essence de la « communication ».
Ce qu’atteste surtout la musique – nous y venons – puisque, contrairement à ce que croit un vain peuple de mélomanes, la musique n’assure pas la moindre communication entre les êtres : la transe, tant que vous voudrez, mais au lieu d’adoucir les mœurs, elle les transgresse ou les abolit.
Sprech- oder Gesang ?
J’aborde une seconde question qui embrasse sans aucun doute, elle aussi, toute l’œuvre d’Aperghis, en tout cas toujours l’œuvre de lui où intervient la voix : pourquoi faut-il que le même animal qui fait des sons comme la nature et qui produit des significations avec des articulations comme la nature n’en fait pas, se mêle aussi de chanter comme les oiseaux ?
Après tout, la parole ne nous suffisait-elle pas ? Pourquoi désirons-nous en outre proférer quelque chose qui soit, si j’ose dire, harmonieux ! Mais vous savez qu’on peut retourner la question, inverser l’ordre, en supposant que chanter est plus proche des sentiments, des passions, que de l’intelligence et du concept, et a dû donc être notre premier langage, ce que ne s’est pas fait faute d’imaginer Jean-Jacques Rousseau dans son Discours sur l’origine de langues :
« Les articulations sont en petit nombre ; les sons sont en nombre infini ; les accents qui les marquent peuvent se multiplier d’eux-mêmes ; toutes les notes de la musique sont autant d’accents ; nous n’en avons, il est vrai, que trois ou quatre pour la parole ; mais les Chinois en ont beaucoup davantage... » [6]
Tout cela est exact. Rousseau dit encore que si nous avions gardé « la première langue » (hypothèses fictive, dans le style du XVIIIe siècle) :
« Non seulement tous les tours de cette langue devraient être en images [géant précéderait homme], en sentiments [« Que les premières inventions de la parole ne vient pas des besoins, mais des passions » ou : « on ne commença pas par raisonner, mais par sentir » ; il va jusqu’à imaginer que la première parole des langues méridionales fut « Aimez-moi », tandis que la premières des langues du nord fut « Aidez-moi » ! [7] Les passions précèdent la raison, en figures [géant, sens figuré précéderait homme, sens propre] ; mais dans sa partie mécanique elle devait répondre à son premier objet, et présenter aux sens ainsi qu’à l’entendement les impressions presque inévitables de la passion qui cherche à se communiquer. »
On ne dira jamais assez à quel point, lecteur de Saussure, de Deleuze et de Lacan, Aperghis est aussi contemporain de ces questions du XVIIIe siècle sur les origines, et notamment de celle du langage, mais aussi de celle de la musique et de la société, n’oublions pas qu’il a fait, sur un livret de Catherine Clément, un opéra à partir de Tristes tropiques, de Lévi-Strauss, ce livre, l’un des plus grands du XXe siècle qui à la fois reprend, transcende et liquide toutes les élucubrations sur l’homme primitif.
« Comme les voix naturelles sont inarticulées, continue Rousseau, les mots auraient peu d’articulations ; quelques consonnes interposées, effaçant l’hiatus des voyelles, suffiraient pour les rendre coulantes et faciles à prononcer. En revanche les sons seraient très variés, et la diversité des accents multiplierait les mêmes voix : la quantité, le rythme seraient de nouvelles sources de combinaisons ; en sorte que les voix, les sons, l’accent, le nombre, qui sont dans la nature, laissent peu de choses à faire aux articulations qui sont de convention, l’on chanterait au lieu de parler ; la plupart des mots radicaux seraient des sons imitatifs, ou de l’accent des passions, ou de l’effet des objets sensibles : l’onomatopée s’y ferait sentir continuellement. » [8]
Je laisse de côté le caractère mythique de cette fiction et la question de savoir dans le langage ce qui est naturel et ce qui est de convention, pour signaler seulement que, dans des recherches phonétiques, langagières, comme sont celles d’Aperghis, on retrouve sous une forme artistique ce que Rousseau imagine d’un point de vue philosophique. La musique chantée, l’opéra même, comme invitation à un voyage dans le temps, comme initiation à la langue primitive, comme revanche de la voix, du son, de l’accent et du nombre contre l’articulation signifiante. Au point qu’on en perde le sens dès qu’on chantera, et que trop bien comprendre les paroles articulées gêne encore beaucoup de mauvais amateurs de Pelléas, qui aimeraient tant la musque de Debussy si elle ne s’accompagnait pas de la poésie de Maeterlinck ! Car il faut tenir que le « ne me touchez pas » de Mélisande au théâtre, et le même à l’opéra ne sont que des homonymes. Eh bien, il semble qu’à travers ces considérations primitives, nous nous mouvons dans l’univers d’Aperghis qui re-parcourt les origines de notre espèce (sans parler de l’oratorio L’origine des espèces, dont j’avais tiré la majeure partie du texte de Darwin), et dans chacune de ses investigations phonétiques et phonologiques, les origines de notre langage. Avec le risque incessamment encouru de retomber (mais du point de vue artistique, c’est plutôt une promotion) dans les cris des animaux, voire les sons des éléments, l’eau (Aperghis a mis en musique des considérations de Léonard de Vinci, De la nature de l’eau, 1974), le feu, l’air (souffles, respirations, étouffements, asphyxies, soupirs, rires, pleurs, asthmes, spasmes, orgasmes), la terre (éboulements, enfouissements, creusements, mais aussi germinations, poussées, floraisons, moissons, géorgiques...).
Concernant d’ailleurs cette question du parlé et du chanté, tout le monde sait qu’elle se pose depuis qu’il y a de la poésie, mais aussi qu’elle estcoextensive à toute l’histoire de l’opéra. Certes, la distinction reste entière, et La Flûte enchantée nous donne l’exemple, bien avant les opérettes à la française, de cette alternance évidente. Chaque auteur de Lied ou d’opéra s’invente évidemment de nouvelles solutions. Le récitatif chanté reste proche de la parole, sans en être, et se distingue de l’aria. La mélodie infinie de Wagner invente un mixte entre le discours et le chant qui en fait toute l’originalité. Le Sprechgesang que Schönberg inaugure avec le Pierrot lunaire instaure une problématique dont les réalisations reconduisent régulièrement les apories. Pierre Boulez a souvent expliqué que cette solution du Pierrot n’était pas satisfaisante, et, par opposition à la première « diseuse » enregistrée du temps de Schönberg, il est allé jusqu’à diriger un Pierrot lunaire exclusivement et intégralement chanté par Yvonne Minton, annulant ainsi le différence d’inscription entre le note chantée, noire ou blanche, mais qu’inscrit un cercle, et les croix qu’institue Schönberg pour les notes « parlées-chantées », en Sprechgesang. La question s’est compliquée depuis lors. Alban Berg, Die Soldaten de Zimmermann, Lachenmannn, Mantovani, etc.
Ainsi dans Lulu, dit Boulez, « l’écriture des voix est très complexe et lesexigences de Berg en rendent l’exécution difficile. Il distingue six modes d’interprétation :
1. dialogue non accompagné
2. prose libre (accompagnée)
3. prose déterminée rythmiquement par les queues de notes et leurs ligatures, sans hauteur précise
4. Sprechstimme déterminée par la hauteur et le rythme (Berg renvoie aux explications de Schönberg dans Pierrot lunaire et la Main heureuse)
5. à demi chanté
6. entièrement chanté [9]
Laissez-moi prendre encore l’exemple du très bel opéra qu’est "La petite marchande d’allumettes", de Helmut Lachenmann.
« L’un des points d’achoppement dans la composition de cet opéra, dit Martin Kaltenecker dans le programme, fut sans aucun doute l’utilisation de la question du chant. Le traitement « beriotique » de la matière vocale dans TemA ne pouvait servir de référence, ni le bel canto, ce son plein et vibré, gorgé de connotations, sorte d’objet compact et préfabriqué, impossible à ouvrir et àréactiver par une déconstruction : le chant est par nature une citation, dit le compositeur ; et c’est ainsi qu’il apparaît par exemple dans Wozzeck, avec la berceuse de Marie. »
« Afin de contourner la facilité du chant vibré, Lachenmann reviendra alors au type de traitement vocal que l’on rencontre dans Salut für Caudwell : le mot décomposé en syllabes, à la fois ralenti et haché, la dernière voyelle ou consonne étant agglutinée à celle du mot suivant en un découpage nouveau, qui suspend brièvement la compréhension. Il y a là certes un péril, qui est d’exiger du spectateur un effort permanent de reconstitution, de rétablir un léger retard du sens sur le son ; mais c’est également une musicalisation de la langue, où le signifiant remonte dans le mot et lui donne une saveur nouvelle. "[10]
Comme on est proche d’Aperghis, et de l’adage de Lacan (aux psychanalystes) : « Ne vous hâtez pas de comprendre » ! (N’en va-t-il pas de même dans les mélismes du plain-chant ? entre le a de Gloria et le i de in excelsis ?)
Toute la recherche autour du chant dans la musique contemporaine démontrerait à l’envi que chaque compositeur doit quasiment inventer un système nouveau en multipliant les instances possibles entre le parler pur, qui est un fantasme, et le pur chanté, qui est un idéal ou un rêve.
J’entendais, j’écoutais, et je regardais aussi, et j’admirais l’autre jour 19 janvier, à la Maison Rouge, l’étonnante Donatienne Michel-Dansac dans Tourbillons, une très récente pièce de Georges Aperghis avec un texte d’Olivier Cadiot, : « Une chanteuse se retrouve seule dans la Suite [celle de la Maison Rouge], face à ses rêves et les difficultés de son art. Ce sont neuf crises avec montée et dépression. » [11]
Et je m’avisais de la différence sans cesse marquée entre parole et chant. Non qu’il faille estomper cette différence, elle était au contraire affirmée à tout moment, puisque la chanteuse (c’est une chanteuse dans la vie et elle en jouait une dans la Suite) oscillait incessamment entre des vocalises très subtiles, apparemment aussi difficiles à effectuer dans l’instant que celles de la Reine de la Nuit dans ses deux Arias, et puis des considérations prosaïques, sur la quotidienneté d’actions insignifiantes, comme de chercher un papier dans un tiroir, et puis une espèce de rêve-cauchemar où il s’agissait de supplier une espèce de défunt de rentrer sous la terre et de lui ficher la paix... Or, bien que des phonèmes virtuoses fussent la matière phonologique des vocalises, et que des paroles plates fussent balbutiées ou expédiées jusqu’à perdre leur signification, eh bien ! s’affirmait une incompatibilité, un abîme, entre l’exigence de comprendre, lorsqu’il s’agit de la parole, et le désir d’harmonie, lorsqu’il s’agit de chant. Et même si les phonèmes chantés allaient jusqu’à presque signifier quelque chose, mais on ne sait quoi – car dans les vocalises casta diva, vous modulez vingt notes sur un même a, ou un o, dont vous ne savez ce qu’il veut dire – , et même si les paroles dites se perdaient dans le non-sens, les chemins qui tendent l’un vers l’autre, comme le mot et l’image selon Goethe, ne se rejoignaient pas.
Comme ces deux creuseurs de tunnel de chaque côté de la mer, et qui arrivent de l’autre côté sans s’être rencontrés.
Dirons-nous pour autant qu’Aperghis est un musicien-poète – comme Albert Schweitzer le disait de Jean-Sébastien Bach ? Bien sûr, dans Machinations, il a aussi inséré des textes en plus de ceux que je lui ai destinés. Et assurément, leurs significations, souvent fantasmatiques (accouchement, gestations, souffrances, douleurs, etc.) lui importent, mais je poserai volontiers qu’en vérité c’est au nom de la musique qu’il effectue ces gestes poétiques.
Dans le livre de Manfred F. Bokofzer intitulé La musique baroque, l’un des livres sérieux sur la question, on apprend que « Dans la musique de la Renaissance, l’harmonie gouverne le mot », alors que dans la musique baroque « le mot gouverne l’harmonie ». Cette simple antithèse (produite par Berardi et Sacchi) qui ne fait que paraphraser la distinction établie par Monteverdi entre la prima et la seconda prattica, touche à l’un des aspects fondamentaux de la musique baroque. » « L’expression expressio verborum, utilisée alors, [...] n’a pas alors la connotation moderne de musique expressive » ; sa traduction la plus adéquate serait « représentation du mot par la musique ».[12] Elle pourrait adéquatement s’appliquer au grand nombre des tentatives d’Aperghis d’exprimer les phonèmes purs, qui sont de la parole (l’articulation selon Rousseau), en essayant d’en faire des sons avec hauteur, accent, quantité et nombre. Mais en même temps, dans l’expérience de Machinations, tout se passe comme si on renonçait à « mettre en musique » ces phonèmes, que chacun d’entre eux décide de sa sonorité, de sa musique, sans que les séquences obéissent à aucun principe musical, sinon de composition.
« Je suis dans un dilemme, dit Georges à propos de Machinations, je ne sais pas encore comment je vais travailler. Il y a deux possibilités. Ou bien j’organise les phonèmes rythmiquement, je leur donne des hauteurs, des articulations vocales, etc., pour écrire avec eux une partition précise et complexe. » En somme, une nouvelle formule de l’art de la Renaissance, musical, soumis au Nombre en un sens si on veut pythagoricien,. «ou bien je donne ces phonèmes, tels quels, aux quatre « diseuses », en leur demandant de créer avec eux des jeux, d’improviser sur place des organisations musicales. » En somme une solution plutôt baroque (rappelons-nous toujours Lully allant entendre la déclamation des acteurs pour mettre des paroles en musique, baroque en cela, et Racine interdisant à ses acteurs de trop « chanter », au risque de se faire arrêter par les représentants de Lully, qui avait acquis alors le monopole absolu de l’opéra.) « Je penche plutôt vers cette seconde solution : à procéder ainsi, j’obtiendrais véritablement un spectacle fait pour les quatre « dames » et non une partition mise en scène. Quitte à noter le tout a posteriori. » [13]
C’est ce qui s’est passé, et qui fait donc de cette œuvre une œuvre « baroque », mais en un sens inouï, Je reprends le texte cité au début, à propos de ces phonèmes : [14]
« Je songeais aussi à ce que dit Deleuze sur la génération par le milieu, plutôt que par la fin ou le début. Quelque chose comme un volcan qui crache et dont le cratère ou la fente s’étend. Et puis il y a des maladies : il y a des consonnes qui finissent pas manger des consonnes. Ce qui donne parfois, c’est vrai, un certain nombre de consonnes côte à côte. Ça crée aussi des rythmes, des hauteurs de voix (certains consonnes, on les dit plus haut que d’autres). Donc, ça finit par faire des mélodies. Et là, chaque gorge, chaque bouche se débrouille comme elle peut, en générant des mélodie différentes.[...] Je cherche à faire entendre ces phonèmes comme des phrases musicales. »
Je dirai qu’on se trouve dans un registre hyper- ou méta-baroque ! D’autant qu’ici, il n’y pas d’instruments, mais seulement des voix et une machine
« Les instruments me sont toujours apparus comme la transposition de ces manières de parler [des gens qu’il écoute]. C’est ce que je trouve merveilleux dans les quatuors de Beethoven. Ce sont des dialogues, des échanges d’affects à quatre. Le piano des concertos de Mozart, aussi, dit des choses très précises, comme un récitatif qui n’en finit pas. » [15]
<présentation d'un exemple sur DVD>
La machine
C’est donc alors qu’intervient la machine qui, comme Lully, va tenter d’opérer des transformations réglées sur les phonèmes.
« Depuis Commentaires (1996), dit Célia Houdart dans le beau livre qui est consacré à Avis de tempête, fait sur un livret de Peter Szendy (2007), Aperghis fait régulièrement appel dans ses mises en scène à l’informatique et aux technologies : sons électroniques, traitements en temps réel, caméras de surveillance, images vidéo-projetées ou rétro-projetées... La technique n’est jamais utilisée pour elle-même, ni exhibée comme un objet fascinant : « Je suis un artisan, dit le compositeur, je n’aime pas les grosses machines sophistiquées... »
Plutôt petites et manipulées à vue, les machines chez Aperghis sont peu performantes, elles cohabitent avec les interprètes comme des animaux familiers ou des parasites. »
Sur les animaux, Aperghis dit d’ailleurs : « Le but étant (...) de faire osciller la « parole » entre des sons animaux, des sons humains et enfin des sons non identifiables, pour tenter de concentrer et de représenter ce qui pourrait ressembler à un combat. » [15]
<présentation d'un exemple sur DVD>
Techniquement, pour Machinations, raconte Olivier Pasquet : « Georges est arrivé avec des phonèmes enregistrés. Il m’a demandé de fabriquer des outils informatiques pour lire ces phonèmes de façon plus ou moins aléatoire, pour créer avec eux des rythmes, des phrasés. Puis j’ai construit des machines (i ; e ; des algorithmes informatiques) qui allaient choisir, dans cette archive de phonèmes, ceux qui étaient dotés de telle et telle caractéristique. « Sans qu’il me l’ait dit expressément, j’ai très vite senti que Georges cherchait, entre les « diseuses » qui énonceraient les phonèmes et la machine, un rapport de type question- réponse plutôt qu’un accompagnement. » [16] Confronté sans doute à une même demande de la part de Georges, je suis parti (bille en tête) sur le rapport de l’homme à la machine, et me souvenant d’un très intéressant petit opuscule intitulé « De l’automate à l’automatisation » [17] , j’en ai tiré : la description par la mécanicien grec Héron d’Alexandrie (Ier ou IIe siècle ap. J.C.) d’un théâtre d’automates, où un système apparemment sophistiqué de contrepoids et de poulies permettait de manœuvrer une représentation entière racontant un combat naval, puis la description par Jacques de Vaucanson, au XVIIIe siècle de son canard automatique à qui on donnait des grains, qui les absorbait, les digérait et les rejetait du son :
Exemple DVD
... puis une analyse logique subtile d’Alan Turing (l’auteur d’une machine à calculer « universelle » qui simule les procédures du traitement de l’information et qui s’est intéressé à l’intelligence artificielle) au sujet de sa machine, autour de la question de savoir si les machines peuvent penser, à laquelle il substitue le syllogisme suivant, rassurant : « Si chaque homme dispose d’un ensemble défini de règles de conduites d’après lesquelles il organise sa vie, alors il est une machine. Or de telles règles n’existent pas. Je fais ce que je veux. Donc, les hommes ne peuvent être des machines. » Enfin l’Eve future de Villiers de l’Isle-Adam, dont le héros fabrique une femme plus femme que femme, capable de toutes les jouissance, y compris féminines.
<présentation d'un exemple sur DVD>
L’Homme-Machine et la femme-machinique
Mais alors tantôt la machine perfectionne les phonèmes proférés par des êtres humains, tantôt elle les réduit (à la cuisson), les dé-vocalise, les dé-phonématise, les déshumanise. Il en résulte, sinon un conflit, du moins une rivalité, voire une émulation, une connivence, un érotisme, entre la machine (mâle ?) et les diseuses. Les grands matérialistes ont des idées bizarres : faire de l’homme, dont tout le monde sait que c’est lui qui a inventé l’outil, l’instrument, la machine, etc. une machine à son tour. C’est Descartes, disais-je, faisant des animaux de pures machines opérant par figures et mouvements, comme le corps humain, qui en est une autre, à la différence près que l’homme pense, qu’il a une âme, et que cela change tout, au point que c’est l’union de l’âme et du corps qui fait problème ; Descartes s’en sort avec le conarium, entre autres. Mais La Mettrie, l’auteur au XVIIIe siècle de l’Homme-Machine, que prétend-il ?
« Car enfin, quand l’homme seul aurait reçu en partage la Loi naturelle, en serait-il moins une machine ? Des roues, quelques ressorts de plus que dans les autres animaux les plus parfaits, le cerveau proportionnellement plus proche du cœur, et recevant aussi plus de sang, la même raison donnée ; que sais-je enfin ? des causes inconnues produiraient toujours cette conscience délicate, si facile à blesser, ces remords qui ne sont pas plus étrangers à la matière que la pensée, et en un mot toute la différence qu’on suppose ici. L’organisation suffirait-elle donc à tout ? oui, encore une fois ; puisque la pensée se développe visiblement avec les organes, pourquoi la matière dont ils sont faits ne serait-elle pas aussi susceptible de remords quand une fois elle a acquis avec le temps la faculté de sentir ? » [18]
Seulement dans Machinations, Aperghis a soigneusement évité l’homme, le mâle, pour offrir ses machinations à quatre femmes, qu’on peut bien appeler quatre machines désirantes au sens de Deleuze. Ou plutôt, il y a un mec, l’homme de la machine, mais il est derrière elle, et même s’il parle aussi de temps en temps pour dire des chiffres et des mots techniques, le seul dialogue est avec la machine, et semble agonistique. Aperghis est de ces musiciens (sans doute en cela est-il plutôt du côté de Mozart, voire de Richard Strauss, que de Moussorgski ou même de Wagner) pour qui c’est d’abord une femme qui chante (comme pour Claudel, le théâtre, c’est une femme qui arrive !). On peut peut-être se passer de basses et de ténors, mais pas d’altos ni de sopranos, et même si, comme dans Machinations, il choisit une chanteuse, une comédienne, une altiste et une flûtiste, dont la chanteuse chantera à peine, la flûtiste donnera à la rigueur des intonations de flûte mais sans flûte et l’altiste aura laissé son alto à la maison. Il en résulte quatre artistes réduites à effectuer cet exercice de diction alternant phonèmes et textes, et jouant un peu comme aucune comédienne ne joue, toutes embringuées dans l’espace sonore inventé pour elles, soumises à ce que Deleuze appelle un usage intensif a-signifiant [19] et confrontées à une machine avec laquelle elles dialoguent, et qui transforme leurs émissions de voix en sons artificiels.
Bien entendu, que veulent ces femmes, assurément satisfaire à la machine, lui obéir, et décrire aussi d’autres machines C’est ici que la machine suscite des images, car les lectures qu’elles font sont accompagnées d’actions très concrètes autour d’objets très simples. Ces actions ont une fonction visible lorsqu’elles sont re-projetées sur les quatre écrans situés au-dessus des diseuses : tenter de re-franchir l’abîme invoqué au milieu entre l’image et la mot, car ces actions sot autant de tropes, de métaphores en somme propres à rendre visible (ersichtliche Thaten der Musik, disait Wagner de l’action scénique) les processus mêmes utilisés dans les phonématisations, mais en faisant « apparaître des objets connus ayant accompagné la vie des hommes depuis toujours (feuilles d’arbres, cailloux, ossements, parties des mains, doigts, écorces d’arbres, cheveux, sable, coquillages, graines, plumes, etc.), sans parler des dessins effectués en direct ou des schémas ou des graphiques projetés de l’ordinateur.
Conclusion métaphysique
Ainsi se boucle le processus, le signifiant a pu devenir signifié, le purement phonologique a pu donner lieu à la mélodie, à l’harmonie, au contrepoint ; la machine et les femmes ont échangé leurs vertus, et les mots les plus purs ont pu susciter des images, et à chaque fois, on peut soutenir les deux propositions incompatibles :« cela n’a rien à voir » et « c’est tout à fait ça » ! Ainsi les trois ou quatre abîmes ont été comblés, ou franchis, ou abolis, et, comme à la fin de Faust, l’irreprésentable est devenu acte. Et en même temps, l’œuvre terminée, nous retombons dans ces abîmes qui sont notre lot quotidien. Je n’ai pas voulu donner l’impression qu’Aperghis était une sorte de poète des phonèmes, ou d’atomiste langagier qui eût renoncé à faire de la musique avec tout cela. Vous savez que mousikè en grec veut dire propre aux Muses et concerne donc tous les arts, la poésie, et plus particulièrement la musique. Aussi bien poserai-je qu’une souveraine raison musicale, au sens grec, commande en dernière analyse la recherche inlassable, digne du Cratyle de Platon, de cet authentique musicien, qui a écrit, écrit et écrira encore bien des œuvres qui questionnent la musique de bien d’autres points de vue. Mais il s’agit toujours pour lui en définitive de franchir dans l’art tous les abîmes que notre espèce si bizarre et si divisée oppose à la Nature. Aussi me redirai- je à son propos avec Héraclite : « C’est le propre du souffle que d’avoir une raison qui s’accroît elle-même. » [20]
François Regnault
________________________
[1] Les Fleurs du mal, poème apporté par l’édition de 1868]
[2] Machinations de Georges Aperghis, textes réunis par Peter Szendy, Ircam, Centre Pompidou, p.59.
[3] Ibid. p.72-75.
[4] Ibid. p.20.
[5] Louis Massignon, « L’arabe, langue liturgique de l’Islam », in Opuscula minora, tome II, p.543 et seq.]
[6] Rousseau, Essai sur l’origine des langues, chapitre IV, édition par Catherine Kintzler, GF- Flammarion.
[7] Ibid. chapitre X.
[8] Ibid. chapitre IV.
[9] Pierre Boulez, « L’écriture affranchie » dans Alban Berg, Lulu, tome II, Théâtre National de l’Opéra de Paris, M & M, Jean-Claude Lattès.
[10] Martin Kaltenecker, « Les mots en marche » dans le Programme de l’Opéra de Paris de La petite fille aux allumettes, (Das Mädchen mit den Schwefelhölzern), de Helmut Lachenmann, Palais Garnier, 2001, p.42.
[11] Tourbillons, pièce vocale de Georges Aperghis, le 19 janvier 2008, La Maison Rouge : La Suite, rendez-vous # 13, tract.
[12] Manfred F. Bukofzer, J.C. Lattès, Presses Pocket, p.13.
[13] Machinations, op. cit. p.20.
[14] Ibid. p.59.
[15] Ibid. p.21.
[16] Ibid. p.109.
[17] De l’automate à l’automatisation, présentés par Jean Sablière, collection « Une invention dans le texte », Grands classiques des sciences et des techniques, Gauthiers-Villars, 1966.
[18] Julien Offroy de La Mettrie, L’Homme-Machine, Collection Folio/Essais, Denoël, p.189.
[19] Machinations, texte cité p.78.
[20] Héraclite ou la séparation, de Jean Bollack et Heinz Wismann, Les éditions de minuit,